La Cour des Comptes enquête sur l'air

Présentation du rapport

La Cour des Comptes a mené l'enquête sur "Les politiques de lutte contre la pollution de l'air", dans un rapport commandé par le Sénat et présenté en septembre 2020. Ce document fait suite à un premier rapport en 2015, dont les recommandations n'ont malheureusement pas beaucoup été suivies.

Les connaissances ont évolué depuis 2015. En 2016, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a reconnu que la pollution de l’air avait un effet sur le développement :

  • de maladies neurodégénératives (Alzheimer, troubles cognitifs),

  • du diabète,

  • de troubles cardio-vasculaires,

  • de maladies du système reproductif.

La pollution de l’air a aussi des conséquences néfastes sur les écosystèmes. Par exemple, la perte de rendement sur les cultures agricoles due à la pollution de l'air est de l'ordre 3 à 20%.

Les politiques publiques ont quelques effets et une baisse des émissions et des concentrations est constatée. Cependant, le niveau de pollution de l'air reste préoccupant et les progrès actuels ne permettront pas de respecter les normes européennes à court terme. Le Conseil d'Etat vient déjà d’infliger à l’État une astreinte d’un montant inédit de 10 millions d'€ par semestre de retard à respecter les valeurs limites. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait quant à elle imposer une amende de 100 millions d'€ la première année, puis 90 millions d'€ par année de persistance des dépassements pour le dioxyde d'azote.

De plus, le respect des normes européennes n'est pas suffisant pour protéger la santé. Les valeurs de l'OMS sont déjà prises en compte par le réseau de surveillance de la qualité de l’air ATMO, par les juges et par l'opinion publique. Par ailleurs, les Particules Ultra Fines (PUF) et le carbone suie ne sont pas réglementés, alors que leur impact sur la santé est établi.

 
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Le point positif, depuis 2015, est la montée en puissance des collectivités territoriales dans le domaine de la lutte contre la pollution de l'air. Il faut poursuivre cette coopération entre l'Etat et les collectivités.

Le Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) a été renouvelé en 2017 par simple reconduction, sans évaluation préalable. La Cour des Comptes déplore que les mesures les plus efficaces aient été abandonnées ou mal-appliquées, particulièrement concernant la fiscalité des carburants et les pratiques agricoles. Des avancées sont à noter dans le secteur des transports (vignettes Crit’air) ou du résidentiel-tertiaire (renouvellement des appareils de chauffage).

Pour la Cour des Comptes, "la lutte contre la pollution de l’air requiert donc désormais d’agir avec plus de détermination et plus d’ambition sur les secteurs dans lesquels les efforts ont été les plus modestes jusqu’à présent". Les enjeux sont :

  • Les émissions de dioxyde d’azote des moteurs diesel et les retards pris dans la limitation du trafic au sein des zones urbaines denses, pour les transports. Les émissions en conditions réelles de conduite sont 4 à 6 fois supérieures aux normes fixées.

  • Les émissions de particules fines dues au chauffage individuel au bois ou au brûlage illégal de déchets verts pour le secteur résidentiel-tertiaire. Les efforts déployés afin de moderniser le parc d’appareils de chauffage individuels et de sensibiliser les usagers doivent être poursuivis.

  • Les pollutions diffuses et accidentelles dans le secteur de l’industrie. Il convient de mieux contrôler les émissions et d’encadrer les rejets non seulement en fonctionnement normal mais aussi en mode dégradé.

  • Les émissions d’ammoniac et de pesticides dans l’air pour l’agriculture. Le secteur de l’élevage est l’un des principaux émetteurs, de même que les exploitations ayant recours aux engrais minéraux azotés. La prise de conscience en France est particulièrement tardive et peu de mesures contraignantes sont actuellement mises en œuvre.

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4 axes de recommandations proposés

Eclairer le débat public

La question de la qualité de l'air doit être incluse dans l'ensemble des plans et stratégies, y compris d'urbanisme et d'infrastructures routières. Les valeurs guides l'OMS doivent être prises en compte systématiquement et chiffrées dans les études d'impact. Il faut mieux évaluer l'impact budgétaire sur les finances publiques aussi.

Limiter les émissions des transports routiers

  • Poursuivre le rééquilibrage de la fiscalité entre le gazole et l’essence, suspendu fin 2018. Etant donné l'impact du diesel sur la santé, l'avantage fiscal en faveur du gazole est injustifié.

  • Prendre en compte les émissions des véhicules en condition réelle de conduite dans la classification Crit'air, qui est basée actuellement sur des données "théoriques".

  • Intégrer dans le malus automobile et les dispositifs d’aide au renouvellement des véhicules, des paramètres d'émissions de polluants atmosphériques, dont le poids du véhicule, comme en Norvège. Prendre en compte les émissions liées à l'abrasion (freins, chaussée), qui sont liées au poids des véhicules.

 
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Mieux connaître et limiter les émissions industrielle

La surveillance des émissions repose principalement sur l'auto-contrôle et la responsabilité des industriels. Ce principe ne fonctionne que si les contrôles extérieurs sont suffisamment fréquents. De plus, les procédés industriels évoluent et il faut étendre le champs des substances contrôlées.

  • Intensifier les contrôles. Etendre ces contrôles aux substances d’intérêt sanitaire, en tenant compte de l’évolution des productions et des procédés de chaque site industriel.

  • Mieux encadrer les obligations de mesure des pollutions diffuses et réglementer le fonctionnement en "mode dégradé", car les dérogations sont trop nombreuses.

  • Renforcer l'action de la médecine du travail et l'attractivité de cette profession.

 
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Améliorer les pratiques agricoles

C'est pour ce secteur que les efforts ont été les plus insuffisants. La mobilisation des agriculteurs est récente pour réduire les émissions d’ammoniac. La lettre de mission concernant la fiscalité des fertilisants en fonction des polluants n'a toujours pas été éditée. L'action est complexe dans ce secteur.

  • Appliquer le PREPA de façon efficace, avant 2025, concernant la fiscalité des fertilisants minéraux et les matériels d’épandage, puis interdire les systèmes les plus émissifs. Donner un horizon contraignant clair et à l'avance, avec un accompagnement financier efficace.

  • Intégrer la qualité de l’air dans les critères de conditionnalité des aides dans la prochaine politique agricole commune (PAC).

  • Surveiller la teneur des pesticides dans l’air de façon pérenne dès 2021. Regarder l'exposition globale tous milieux confondus (air, eau, sol).

 
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Et le résidentiel ?

Concernant le secteur résidentiel, la Cour des Comptes n'a pas de recommandations novatrices.

  • Pour les déchets verts, l'interdiction du brûlage existe, il faut appliquer cette réglementation.

  • Pour le chauffage au bois, la modernisation du parc est en cours avec les Fonds Air Bois. Attention tout de même aux émissions réelles (idem diesel) et aux émissions secondaires. A ce sujet, un groupe de travail a été mis en place dans le cadre de la Convention de Goteborg.

 
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Focus sur la pollution industrielle

Un manque de connaissances scientifiques existe au sujet des émissions des zones industrielles. Des "bouffées" brèves de pollution peuvent être constatées plusieurs fois par jour, avec un impact sur la santé encore inconnu. De plus, la surveillance doit être adaptée au contexte et aux procédés.

Le recours abusif au "mode dégradé" est un problème qui mérite un encadrement plus sérieux. Les émissions sont alors évacuées par des soupapes, sans être filtrées. Ceci a été le cas en Région PACA, où l'encadrement est devenu plus strict. A Fos-sur-Mer, des industriels bénéficiaient de dérogations pour fonctionner en mode dégradé sur de longues durées. A Lacq aussi, certaines mises en conformité ont du avoir lieu également.

L'effet sur la santé des différents types de particules

Des études en cours à Grenoble sur le stress oxydatif des particules ont lieu actuellement. Les particules des transports seraient plus irritantes que celles du chauffage au bois, d’après ces travaux.

Anne InspireCommentaire